Questions aux médecins du travail
Douze médecins du travail présentant des profils variés en termes d’expérience et de lieux d’exercice ont accepté de répondre à quelques questions sur les évolutions de la médecine du travail dès le 1er janvier 2017. Tous mettent en lumière les apports du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 relatif à la modernisation de la médecine du travail.
Pensez-vous que les textes qui "revisitent" le cadre de votre exercice sont positif ?
Les mesures vont permettre de recentrer le suivi du salarié sur des éléments de nature médicale et de mieux prendre en considération les notions d’âge ou de handicap des salariés par exemple. Le systématisme centré sur la visite a souvent été une perte de temps au détriment d’actions correctives ou d’information auprès de l’employeur.
En médecine, l’adaptabilité à chaque situation, qui repose sur des données fines, est nettement préférable au systématisme. En ce sens, le projet de décret apporte la souplesse nécessaire ».
Dr Jean-Pierre Lacombe, médecin du travail en Haute-Savoie depuis 14 ans
« Cette réforme était attendue. Et nécessaire. La délégation de certaines tâches - que nous n’avons pas besoin de réaliser - à l’infirmier est une excellente nouvelle. Nos regards sont complémentaires. Dans tous les hôpitaux, dans toutes les spécialités, les médecins travaillent avec des infirmiers. Renforcer les collaborations au sein d’une équipe pluridisciplinaire est pour moi une évidence ».
Dr Charlotte Pété-Bonneton, médecin du travail dans le Rhône depuis 1 an
« C’est une réforme que nous pouvons lire en creux et en plein. En plein : la loi modifie de manière substantielle le suivi individuel des salariés. En creux : elle a vocation à réorienter une bonne part de nos ressources, notamment médicales, vers les actions en milieu de travail. La prévention primaire collective en entreprise devient l’alpha et l’oméga de la prévention".
Dr Fabrice Locher, médecin du travail en Ile-de-France depuis 25 ans
Votre intervention obligatoire à chaque nouvelle embauche n'était-elle pas pertinente ?
« Non, l’examen clinique est loin d’être indispensable pour tous les salariés. Prenons l’exemple d’un poste administratif occupé par un jeune en bonne santé et sans antécédent : la consultation sera très peu utile. Le salarié repartira en se disant que nous ne servons à rien. Je pense que le systématisme nous a desservis.
En revanche, que ce même salarié soit reçu par un autre professionnel qui lui expliquera nos missions, qui l’alertera sur les risques professionnels qu’il peut rencontrer – les dangers d’une mauvaise posture, les troubles visuels liés aux écrans… - et qui lui rappellera que la porte du médecin reste grande ouverte, est beaucoup plus utile. L’infirmière peut tout à fait remplir ce rôle. Cela étant précisé, la prise de certains postes nécessite des examens cliniques de référence préalables, en cas de risques de TMS (Troubles Musculo-Squelettiques) ou d’asthme professionnel par exemple. Nous assurerons évidemment ces visites ».
Dr Charlotte Pété-Bonneton, médecin du travail dans le Rhône depuis 1 an
« Elle était pertinente dans le sens où elle proposait un premier contact avec le SSTI. Mais est-il raisonnable de voir cinq médecins du travail en un an (quand on enchaîne 5 CDD), alors que les moyens se raréfient ? En outre, cela n’a aucun sens en termes de prévention. La loi Travail est équilibrée car elle garantit l’universalité de l’accessibilité au système, elle allège la charge médicale en réorientant la ressource vers des visites qui ont un sens et elle positionne le médecin du travail comme animateur coordinateur de l’action sur le milieu de travail et de l’équipe pluridisciplinaire qui travaille à ses côtés. La priorité consiste à mener des actions collectives en milieu de travail et à évaluer cette action tous les deux ans chez les salariés occupant des postes à risques et tous les cinq ans chez les autres ».
Dr Fabrice Locher, médecin du travail en Ile-de-France depuis 25 ans
Le rôle du médecin du travail va-t-il se trouver amoindri en 2017 ?
« Le médecin du travail est le pivot de la réforme, il encadre, manage une équipe pluridisciplinaire variée et il est le garant de l’efficacité sur le terrain. Le projet fait naître une santé au travail protocolaire, encadrée et pilotée par un médecin responsable, spécialiste et indépendant. Le médecin du travail était devenu presque invisible, calfeutré dans son cabinet. Aujourd’hui, il renaît, il devient expert des décisions rendues en termes d’évaluation des expositions potentielles, de suivi de la santé au travail, de l’aptitude et de l’inaptitude. Il devient le partenaire indispensable et reconnu au sein de l’entreprise, conseiller des salariés et de l’employeur ».
Dr Alain Chanard, médecin du travail dans l’Indre depuis 22 ans
Les salariés seront-ils moins protégés du fait de l'espacement des visites ?
« Le garant de la santé au travail, c’est la prévention primaire en entreprise et la mise en place de « détecteurs efficaces ». Ce que nous aurons enfin le temps de faire, je l’espère : en tout cas, j’interprète cette réforme dans cet esprit ».
Dr Jean-François Gaillard, médecin du travail en Eure-et-Loir depuis 18 ans
« La visite médicale ne protège pas en soi d’un risque professionnel, c’est le travail d’aide à la prévention primaire de terrain qui permet de limiter les risques professionnels et de protéger les salariés. Le suivi individuel périodique sera assuré par les infirmières de santé au travail entre deux visites médicales. Du fait de la particularité de mon secteur, je reçois aujourd’hui des salariés que je n’ai pas vus depuis cinq ans. Le plus souvent, il ne s’est rien passé de notable et les autres ont été reçus dans le cadre de visites occasionnelles ayant permis de faire le point sur leur santé et leur situation professionnelle. Là encore, l’enjeu est de pouvoir consulter si nécessaire ; le temps dégagé par l’espacement des visites médicales devrait le permettre ».
Dr Blandine Devaux, médecin du travail dans l’Eure depuis 19 ans
« Les salariés ne seront pas moins protégés, puisqu’ils pourront toujours nous consulter quand ils le souhaiteront. Si vous prenez un rendez-vous avec un rhumatologue, ce n’est pas pour lui dire que vous n’avez pas de problèmes de dos. Vous le consultez pour une problématique centrée sur sa spécialité. Pourquoi en serait-il autrement pour nous ? Nous avançons enfin vers une véritable spécialité de médecin de santé au travail. Les salariés ne seront plus « obligés » de venir nous voir, ils auront « envie » de venir nous voir pour que nous apportions des réponses concrètes à une problématique de santé au travail ».
Dr Gérald Demortière, médecin du travail en Ile-de-France depuis 33 ans
Considérez-vous que la fin du systématisme de l'avis d'aptitude soit une bonne ou une mauvaise chose ?
« Le systématisme – avec la prise du pouls, du poids, de la tension, l’examen pipi et l’examen de vue tous les ans – n’a jamais montré son efficacité. Réfléchir sur tel risque ou sur la situation de tel salarié est bien plus intéressant. Nous allons enfin mettre nos compétences au service des problèmes à régler car recevoir des gens qui vont bien est une perte de temps. Dans mon activité, je suis beaucoup de start-up où travaillent des jeunes de moins de 25 ans. Les visites médicales systématiques ne leur apportent rien et ne nous apportent rien. Tous font du sport et sont parfaitement bien dans leur peau. En revanche, aller sur le terrain leur parler d’ergonomie de manière pratique ou encore aborder le développement de leur entreprise est autrement plus intéressant pour eux et pour nous. Nous devons développer ces missions tout en précisant que nous restons accessibles aux salariés qui le souhaitent ».
Dr Thibault Foucart, médecin du travail dans le Nord depuis 2 ans
« Quitter le systématisme de l’avis d’aptitude va nous permettre de développer le dialogue avec les salariés et les employeurs. Ces derniers vont pouvoir promouvoir la prévention grâce à la connaissance plus fine des sujets que nous serons en mesure de leur apporter. Ce qui est pour nous autrement plus intéressant et valorisant que de délivrer des avis d’aptitude. La fin du systématisme fait l’unanimité au sein de notre service ».
Dr Gérald Magallon, médecin du travail dans les Hautes-Alpes depuis 32 ans
« C’est une très bonne chose. La compétence du médecin du travail, sa capacité à donner un avis et à juger de ce qu’il faut faire face à une problématique de santé interférant avec le travail sont enfin valorisées. Nous aurons davantage de temps à consacrer aux personnes présentant un problème de santé et que nous devons maintenir dans l’emploi, ainsi qu’aux salariés dont la pathologie est liée aux conditions de travail ».
Dr Virginie Roig, médecin du travail dans les Hautes-Pyrénées depuis 15 ans
Les infirmiers en santé au travail, appelés à assurer des visites d'information et de prévention, ont intégré les Services de santé au travail récemment. Que pensez-vous de cette collaboration ? pourront-ils vraiment détecter les problèmes de santé des salariés ?
« La formation initiale des infirmiers est méconnue. Ils possèdent aujourd’hui la capacité et la compétence pour réaliser un diagnostic infirmier et identifier les modes fonctionnels altérés d’un individu. Avec la formation spécifique pour devenir infirmier de santé au travail, ils sont par ailleurs formés à l’identification des salariés qui auront besoin d’une consultation médicale et à l’entretien motivationnel permettant de rendre les salariés acteur de leur santé. J’aimerais par ailleurs souligner que les salariés se confient davantage à l’infirmier. Au début de l’expérimentation mise en place dans notre service et consistant à remplacer la visite d’embauche pour des saisonniers qui ont signé des contrats courts - 40 jours maximum - par des actions de formation et de prévention, individuelles ou collectives, deux médecins sur neuf étaient d’accord pour la lancer. Ceux qui s’y opposaient faisaient valoir les mêmes arguments que ceux qui s’opposent aujourd’hui au décret à paraître. Aujourd’hui, tous les médecins du service sont convaincus de la pertinence du dispositif. Il faut sortir des fantasmes et des dogmes. »
Dr Gérald Magallon, médecin du travail dans les Hautes-Alpes depuis 32 ans
« J’ai la chance de travailler en équipe depuis plus de quatre ans. Nous échangeons régulièrement. Si les infirmiers ont la moindre question, ils reviennent vers moi. Une confiance se bâtit. A l’hôpital, l’accès d’un patient au médecin via une infirmière ou une aide-soignante existe depuis de nombreuses années. Si un patient se plaint, l’infirmière ou l’aide-soignante gère le problème. Si elle a un doute, elle appelle le médecin. Cette collaboration est nouvelle en médecine du travail, mais pas en santé ».
Dr Alban Marquis, médecin du travail dans le Nord depuis 6 ans
Avez-vous déjà expérimenté certaines mesures envisagées dans le décret qui entre en application ? Quels enseignements en avez-vous tirés ?
« Notre service a effectivement mis en place des actions expérimentales suite à la signature d’un accord dérogatoire sur la saisonnalité. Cette expérimentation, qui a démarré en novembre 2006 après une année de négociation, illustre ce que le nouveau décret nous propose. En accord avec les partenaires sociaux du département, nous avons remplacé la visite d’embauche pour des saisonniers qui ont signé des contrats courts - 40 jours maximum - par des actions de formation et de prévention, individuelles ou collectives.
Une évaluation a été réalisée et présentée à chaque fin de saison devant la commission paritaire interprofessionnelle. Année après année, les partenaires sociaux ont reconduit l’accord. L’an dernier, nous avons même discuté des modalités de son élargissement aux contrats à durée déterminée.
Cette évolution respecte nos principes éthiques : l’autonomie pour rendre le salarié acteur de sa santé et l’entreprise actrice des actions de prévention, et l’équité. Le suivi médical sera organisé en fonction des besoins et non sous la forme d’un égalitarisme factice. Il est par exemple assez simple de comprendre que les salariés plus âgés ont d’autres besoins que des salariés plus jeunes qui, dans leur grande majorité, peuvent être vus par d’autres professionnels de santé au travail que les médecins ».
Dr Gérald Magallon, médecin du travail dans les Hautes-Alpes depuis 32 ans
Les salariés du tertiaire ne sont-ils pas laissés pour compte dans ce décret alors même que certains nouveaux risques et problèmatiques émergent, propres à ce secteur : burn out, stress...?
« La visite médicale périodique systématique ne prévient pas en soi le risque. Outre la visite à la demande, le repérage des salariés en difficulté pourra se faire grâce aux entretiens infirmiers. Nous serons à la fois plus utiles et plus performants en allant sur le terrain et en dégageant du temps pour les salariés les plus en difficulté ».
Dr Blandine Devaux, médecin du travail dans l’Eure depuis 19 ans
« La réforme va nous permettre de développer la prévention primaire auprès des entreprises. Nos intervenants en prévention des risques professionnels et nos infirmières pourront faire la chasse aux risques psycho-sociaux et les périodicités des visites d’information et de prévention et des visites d’aptitude seront adaptées en fonction de l’évaluation de la situation dans l’entreprise. Les salariés seront par ailleurs informés de la possibilité de nous consulter à tout moment. Ce qu’ils font peu aujourd’hui ».
Dr Jean-François Gaillard, médecin du travail en Eure-et-Loir depuis 18 ans
« Au moment de l’explosion des risques psycho-sociaux, les salariés étaient vus tous les ans par les médecins du travail. La prévention du stress et du burn out nécessite d’agir dans l’entreprise. Nous devons répondre à une série de questions : quel est l’origine du stress ? Est-il lié à des changements, à la charge de travail, aux conditions de travail, au relationnel, etc ? En entretien singulier, nous ne pouvons pas appréhender tous ces sujets. Ce n’est qu’en visitant régulièrement les entreprises que nous pourrons observer la réalité des comportements ».
Dr Thibault Foucart, médecin du travail dans le Nord depuis 2 ans
N'y a-t-il pas un risque de perte de confiance si les salariés vous voient moins souvent ? auront-ils toujours le souhait de vous exprimer leurs problèmes de santé ?
« Selon ce raisonnement, un patient ne partagerait rien avec un médecin qui commence sa carrière. C’est complètement faux. Les salariés me confient des tas d’informations, ainsi qu’à l’infirmière d’ailleurs. La confiance n’a rien à voir avec la répétition des entretiens, elle dépend de la manière d’interroger la personne. Il faut s’intéresser à elle, entrer dans le détail de son traitement, de sa santé, la faire parler de sa charge de travail, etc. ».
Le Dr Charlotte Pété-Bonneton, médecin du travail dans le Rhône depuis 1 an
« Les salariés, comme les employeurs, ont des interlocuteurs clairement identifiés, ils savent que c’est une équipe qui les suit. Lorsque nous leur présentons notre fonctionnement, ils comprennent le rôle de chacun. L’important n’est pas tant la relation de confiance avec le médecin du travail, qui n’est pas aussi majeure que décrite, que la relation de confiance avec l’équipe, qui peut agir de manière adaptée et surtout permettre le suivi de l’accompagnement et des actions entreprises. Ceux qui n’avaient aucun problème à faire part de leurs soucis de santé continueront à le faire ; ceux qui étaient plus réticents, seront plus enclins à nous faire confiance après avoir observé nos actions concrètes et adaptées sur le terrain ».
Dr Sylviane Mathieu, médecin du travail dans l’Allier depuis 15 ans
Si votre activité clinique est ciblée seulement sur ceux qui en ont le plus besoin, comment allez-vous utiliser le temps dégagé ?
Le temps médical dégagé par l’espacement des visites et la délégation aux infirmiers va permettre une véritable efficience de l’action en milieu de travail : participation au CHSCT, aide à l’évaluation des risques, études de postes pour prévenir la désinsertion professionnelle, aide au maintien dans l’emploi, participation aux enquêtes épidémiologiques, veille sanitaire et traçabilité des expositions par une meilleure tenue du DMST… ».
Dr Alain Chanard, médecin du travail dans l’Indre depuis 22 ans
« Nous pourrons être plus présents dans les entreprises pour développer la prévention primaire et préserver le maintien dans l’emploi. La prévention de la désinsertion professionnelle, inscrite dans la loi de 2011, est l’une de nos missions fondamentales. Cette présence sur le terrain est aussi la clé de notre reconnaissance comme spécialiste de la santé au travail ».
Dr Gérald Demortière, médecin du travail en Ile-de-France depuis 33 ans
Comment vont réagir ou ont déjà réagi les salariés et les employeurs qui voient les modalités de suivi de leur état de santé modifiée ?
« Lorsque nous avons mené, il y a deux ans, nos expérimentations de suivi délégué aux infirmiers dès lors que l’avis d’aptitude n’était pas requis, les salariés et les employeurs ont été très satisfaits. L’essentiel pour les uns et pour les autres est de pouvoir accéder à un professionnel de santé, de savoir qu’il n’est pas seul et qu’il peut référer d’une situation particulière à tout moment à un médecin ».
Dr Fabrice Locher, médecin du travail en Ile-de-France depuis 25 ans
« Les entreprises connaissent mal nos équipes donc elles connaissent mal nos missions. Elles pensent immédiatement à la visite systématique. Mais lorsque les employeurs découvrent tout ce que nous pouvons faire pour eux en termes de prévention et d’actions collectives, ils sont très demandeurs ».
Dr Charlotte Pété-Bonneton, médecin du travail dans le Rhône depuis 1 an
« Dans mon expérience, je n’ai que des retours positifs : parler le même langage, oeuvrer dans le sens de l’intérêt collectif sans perdre de vue les situations individuelles nous rend crédibles ».
Dr Sylviane Mathieu, médecin du travail dans l’Allier depuis 15 ans
Si un employeur ne suit pas vos recommandations, quel est votre pouvoir d'agir ?
« Je peux lui notifier par écrit les risques qu’il prend en ne suivant pas nos recommandations. Dans les entreprises d’une certaine taille, la notification peut se faire en comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
Aujourd’hui, des employeurs se voient infliger des amendes par l’inspection du travail ou perdent leur procès devant des tribunaux parce qu’ils n’ont pas voulu mettre en place nos recommandations.
Mais notre moyen de pression se limite à notre rôle de conseil. Nous ne pouvons pas saisir le tribunal directement. Mais ce n’est de toute façon pas dans la philosophie de notre démarche. Un bon médecin du travail reste neutre et se garde bien de prendre parti pour le salarié ou l’employeur. Dans les situations de tension, s’agissant des risques psycho-sociaux par exemple, les torts sont souvent partagés. D’où l’intérêt de rencontrer les deux parties et de confronter les versions. Tout n’est jamais tout blanc ou tout noir. Il y a beaucoup de nuances de gris. Tout l’enjeu est de bien conseiller ».
Dr Thibault Foucart, médecin du travail dans le Nord depuis 2 ans
« Nous ne pouvons avoir accès aux conditions réelles de travail qu’avec la coopération de l’employeur et cette coopération ne peut s’appuyer, pour une efficacité réelle, que sur une relation de confiance. C’est cette confiance qui est fondamentale à établir, tout comme la relation thérapeutique patient/médecin. Cette confiance s’appuie sur la connaissance des réalités du monde de l’entreprise et sur la connaissance de l’humain tant dans ses besoins fondamentaux que dans les modes relationnels qu’il développe avec son environnement. Seule cette confiance permet à notre travail de porter ses fruits ».
Dr Sylviane Mathieu, médecin du travail dans l’Allier depuis 15 ans
Le décret d'application se repose sur vous, plus qu'auparavant, pour définir les modalités de suivi des salariés : n'est-ce pas un excès de responsabilités que l'on vous fait porter ?
« C’est une responsabilité que j’ai apprise pendant mes études et donc que je suis capable d’assumer. Je suis beaucoup plus gênée lorsque les employeurs nous reprochent de ne pas être à jour dans la réalisation des visites obligatoires. La situation juridique actuelle est très inconfortable. Je serai davantage en capacité de justifier pourquoi je souhaite revoir tel salarié dans six mois et tel autre dans trois ans ».
Dr Charlotte Pété-Bonneton, médecin du travail dans le Rhône depuis 1 an
« J’ai fait dix années d’études de médecine. C’est une responsabilité que je peux assumer. Elle fait partie de mon métier ».
Dr Alban Marquis, médecin du travail dans le Nord depuis 6 ans
Selon la déclaration des risques de l'employeur, les salariés bénéficieront ou non d'un suivi individuel renforcé. N'y a-t-il pas un risque d'injustice ? Que pouvez-vous faire à ce niveau ?
« Quelle injustice ? Par rapport à qui ? A quoi ? Cela sous-tend que seuls les salariés bénéficiant d’un suivi individuel renforcé seront les seuls à bénéficier d’un suivi « valable » ! L’employeur qui exige un suivi renforcé reconnait implicitement que ses salariés sont exposés, ce qui justifie un accompagnement au sein de l’entreprise pour la suppression ou au moins la réduction de l’exposition au risque en cause. Car le constat d’une exposition nous impose d’y remédier, pas de nous contenter d’un suivi individuel ».
Dr Sylviane Mathieu, médecin du travail dans l’Allier depuis 15 ans
« Si un employeur se trompe dans ses déclarations, nous sommes là pour l’alerter. Suite à la réforme, l’employeur aura peut-être envie de se rassurer en demandant pour ses salariés une surveillance renforcée. Mais ce choix risque de se retourner contre lui car les visites d’aptitude médicale doivent alors intervenir avant la mise au poste, quel que soit le contrat : CDD, remplacement, intérim… A l’inverse, s’il sous-estime les risques, sa responsabilité pénale pourra être engagée en cas d’accident. Si le médecin s’oppose à la classification de l’employeur et que ce dernier ne réagit pas, il est possible d’en faire état au CHSCT, aux délégués du personnel et au comité d’entreprise. Je suis persuadé qu’au final, nous serons entendus. A nous de gérer les différentes situations en développant le dialogue avec les employeurs ».
Dr Jean-François Gaillard, médecin du travail en Eure-et-Loir depuis 18 ans
Comment expliquez-vous les réactions négatives de certains de vos confrères ?
« La réforme nous éloigne d’une prévention basée sur la visite médicale systématique et l’action directe du médecin. Je peux comprendre que mes confrères qui ont adhéré par conviction à cette approche se sentent déstabilisés. A l’avenir, dans un service de santé au travail, le médecin gérera une équipe de spécialistes dans différents domaines et ciblera sa compétence médicale sur les besoins de santé. Je pense que cette nouvelle méthode est la bonne. Je n’ai pas choisi d’être médecin pour valider une formalité administrative annuelle ».
Dr Alban Marquis, médecin du travail dans le Nord depuis 6 ans
« Nous devons faire le deuil d’un mode d’exercice ancien, ce qui ne veut pas dire renier ce que nous avons fait jusqu’à présent. Nous n’allons rien perdre, nous allons juste travailler autrement et plus efficacement ».
Dr Gérald Demortière, médecin du travail en Ile-de-France depuis 33 ans
La spécialité de médecine du travail ne jouit pas d'une grande reconnaissance, l'attractivité du métier demeure faible. Que diriez-vous à un jeune médecin sur l'intérêt de votre activité ?
« C’est un métier passionnant, très varié qui nous offre beaucoup d’indépendance et d’autonomie. Le travail autrefois plutôt solitaire et routinier est devenu un travail d’équipe, très riche et en prise avec la « vraie vie ». Le monde du travail est dynamique. Les aspects relationnels et de négociation sont passionnants ».
Dr Jean-Pierre Lacombe, médecin du travail en Haute-Savoie depuis 14 ans
« Je dirais à ce jeune étudiant de se rapprocher de l’excellente association nationale des internes de médecine du travail pour l’éclairer sur ce métier riche, passionnant et varié en contacts humains et toujours dans la dynamique positive du travail. Je lui dirais que le législateur a voulu sauver la médecine du travail en reconnaissant enfin le rôle pivot du médecin spécialiste en santé au travail. Le médecin du travail est indépendant et il doit garder cette liberté d’exercice. Il devient un manager, responsable d’une équipe dédiée « à la prévention primaire en entreprise pour améliorer le suivi du travailleur et éviter toute altération de sa santé ».
Dr Alain Chanard, médecin du travail dans l’Indre depuis 22 ans
« Qu’il aura l’opportunité d’accomplir des activités très différentes et qu’il découvrira des disciplines extra-médicales : l’ergonomie, la toxicologie, le management, etc. Il aura aussi la chance de pouvoir s’intéresser aux ‘process’ et à l’objet de l’entreprise, ce qui lui permettra d’enrichir ses connaissances dans une multitude de domaines ».
Dr Alban Marquis, médecin du travail dans le Nord depuis 6 ans
« Nous venons d’accueillir un médecin collaborateur, qui est une ancienne médecin généraliste. Je lui ai posé la question et les arguments qu’elle a fait valoir sont le travail en équipe, la facilité des contacts avec les salariés, la découverte du monde du travail et l’exécution de tâches très variées. Notre rôle est très valorisant. Nous aidons les personnes même si nous ne sommes pas dans le soin ».
Dr Jean-François Gaillard, médecin du travail en Eure-et-Loir depuis 18 ans
« Nous sommes en contact avec tous les secteurs d’activité, constituant le tissu économique et social de notre société. Nous sommes confrontés aux enjeux sociétaux de demain, avec une des plus belles missions qui soit : replacer l’humain au coeur du travail, au coeur de l’entreprise ».
Dr Sylviane Mathieu, médecin du travail dans l’Allier depuis 15 ans